Les vols Frontex et le lourd bilan dans la Manche

Suite au naufrage dans la Manche de novembre 2021, où au moins 31 personnes se sont noyées alors que les garde-côtes français et britanniques ignoraient leurs appels à l’aide et ne parvenaient pas à coordonner une opération de recherche et de sauvetage, les ministres européens se sont réunis à Calais pour une réunion de crise. Leur réponse : demander à Frontex de déployer un avion pour « voler jour et nuit afin d’aider les polices française, néerlandaise et belge » à surveiller le littoral à la recherche de traversées. Le ministre français de l’intérieur, Gérald Darmanin, déclare à l’époque : « Nous ne pouvons pas accepter qu’il y ait encore des morts ».

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Un avion britannique qui effectue des vols de surveillance au-dessus de la Manche (en dehors de l’opération Frontex).

Trois jours après la déclaration de M. Darmanin, un appareil de l’armée de l’air danoise atterrit à Lille pour commencer les patrouilles, et l’opération conjointe Côte d’Opale de Frontex (Joint Operation Opal Coast ou JO Opal Coast) est née. Depuis, au moins 102 personnes sont mortes à la frontière entre le Royaume-Uni et l’Europe continentale selon des journalistes et des militants ; 64 de ces décès étaient liés à des tentatives de traversée maritime.

Malgré l’augmentation des moyens français de recherche et de sauvetage, le nombre de décès dans la Manche augmente d’année en année. Alarm Phone attribue ce phénomène à la surcharge croissante des embarcations, une évolution due au fait que la police française intercepte les équipements tels que les bateaux et les moteurs avant qu’ils n’atteignent la côte, et disperse violemment les personnes lors des tentatives de mise à l’eau. Cela signifie qu’il y a moins de bateaux pour le même nombre de potentiels voyageurs et que les mises à l’eau se déroulent dans des circonstances chaotiques, les personnes tentant d’échapper à la police.

Bien que découlant de la catastrophe maritime la plus meurtrière dans la Manche depuis le naufrage du Herald of Free Enterprise en 1987, l’opération conjointe Côte d’Opale ne donne pas la priorité à la sécurité des personnes en mer et pourrait même contribuer à l’augmentation du nombre d’incidents mortels observés récemment.

Une version censurée du plan d’activité spécifique 2023 pour la Côte d’Opale de Frontex, obtenue grâce à une demande d’accès aux documents, énumère les objectifs de la surveillance aérienne dans l’ordre suivant :

« …détecter et empêcher les franchissements non-autorisés des frontières depuis les côtes belges et françaises et depuis la mer territoriale de la Belgique en direction du Royaume-Uni. »

« Lutter contre la criminalité transfrontalière, y compris le trafic de migrants et la traite des êtres humains. »

« Renforcer la coopération européenne en matière de garde-côtes et soutenir les opérations de recherche et de sauvetage conformément au droit international. »

D’autres preuves de la faible priorité accordée aux opérations de recherche et de sauvetage s’observent au travers des dossiers de vol des avions de surveillance déployés par Frontex.

Comme l’a précédemment rapporté Statewatch, parmi les entreprises fournissant des avions à l’opération Côte d’Opale se trouve l’entreprise néerlandaise Executive Airborne Systems & Platforms (EASP), qui a obtenu le contrat en 2022. Le tracé de son Dornier DO328-100 datant de juillet de la même année montre que la surveillance se fait par survol terrestre en France et a lieu au milieu de la nuit.

L’avion a principalement survolé des zones de dunes le long de la côte, où des groupes de personnes se rassemblent ou apportent du matériel avant de tenter la traversée, permettant de diriger la police pour qu’elle les intercepte.

Le document de Frontex décrit cette activité comme suit :

« Détecter, signaler et suivre à un stade précoce les groupes de personnes suspects et/ou les moyens de transport soupçonnés de transporter des personnes et d’être en possession de tout équipement susceptible de faciliter les traversées maritimes, afin d’empêcher les franchissements non autorisés de la frontière de [EXPURGÉ] vers le Royaume-Uni… »

L’avion n’effectue pas fréquemment de vols de recherche au-dessus de la Manche le matin, lorsque la majorité des départs ont lieu.

Des vols plus récents effectués en 2024 par la société belge North Sea Aviation Services (qui opérait auparavant des vols de surveillance pour les garde-côtes britanniques avant que 2Excel Aviation ne prenne le relais) montrent la poursuite de ce schéma de patrouille terrestre nocturne, qui continue d’être reproduit aujourd’hui.

En particulier, la trace d’un avion de surveillance fournie par la société espagnole GrupAirmed les 2 et 3 septembre derniers montre qu’il n’a patrouillé le long de la côte qu’au milieu de la nuit.

Le 3 septembre, au matin, près du Cap Gris-Nez a lieu le naufrage le plus meurtrier en Manche depuis novembre 2021. Au moins 14 personnes sont mortes.

Frontex acknowledges in the Opal Coast plan that the “risk taken by migrants in their attempts to cross the Channel is high,” but goes on to say that “the number of reported fatalities in the area is low compared to other maritime routes used by irregular migrants.”

Just as in the Mediterranean, where Frontex’s aerial surveillance facilitates abuse while paying lip-service to assisting with search and rescue operations, the agency’s activity over the Channel serves to enable the police interceptions which have made crossings more dangerous.


Documentation : Frontex, Specific Activity Plan JO OPAL COAST 2023 (pdf)

Source : Statewatch, 13 septembre 2024

Auteur : Travis Van Isacker

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